Edito
Christophe Rocard - Associé Crowe Rocard
N’abandonnons pas les chefs d’entreprise en difficulté !
La détresse du chef d’entreprise face aux difficultés économiques est encore aujourd’hui trop souvent ignorée, incomprise, cachée. Quelle honte !... de ne pas la prendre en compte, de le laisser seul, voire de le rejeter socialement. Le métier de dirigeant est exigeant et difficile mais ce n’est pas la perception que peuvent en avoir les autres. Il est de notre devoir de citoyen d’y être attentif et de les accompagner dans leur lutte. Imaginerait-on délaisser toute autre personne dans la difficulté ? Non, bien entendu ! Voilà le paradoxe de la société française pour laquelle la solidarité est une valeur fondamentale mais qui juge négativement et abandonne ses entrepreneurs en situation d’échec.
Fort heureusement, ce constat souffre de plusieurs oppositions comme vous le constaterez à la lecture de ce Connexions. Etant encore en début d’année, je formule le voeu
que cette lecture suscite des vocations pour accompagner les chefs d’entreprise en difficulté, mais surtout décomplexe, désinhibe et encourage ces derniers à en parler dès l’apparition des premiers symptômes. Le médecin généraliste de l’entreprise, par la connaissance de son patient et ses
compétences professionnelles, c’est bien évidemment l’expert-comptable. Toutes les enquêtes le soulignent. Par notre proximité, nous sommes le confident le plus efficace du chef d’entreprise. L’implication de Crowe depuis près de deux ans dans le Tour de France du Rebond illustre notre volonté
d’aller encore plus loin dans cet accompagnement.
Bonne lecture !
Sommaire
1- Rencontre avec William Nahum, Président du CIP National
2- Comment l’expert comptable accompagne t-il le chef d’entreprise dans les solutions préventives ?
3- La sauvegarde accélérée
4- La fiducie - surêté
5- Rencontre avec Gérard Maury, Président du Tribunal de Commerce de Pontoise
Connexions est la revue trimestrielle de Crowe France.
Comité de rédaction de ce numéro : Arnaud Devoucoux, Julien Benatar, Christophe Rocard, Jean-Claude Capuono, David Kharoubi, Jean-François Vanneste
Conception, création : OneSelf
Crédits photos : Médiathèque Crowe, 123 RF
Actualité réseau
Le tour de France du rebond.
Le Tour de France du Rebond est une action au long cours soutenue par Crowe France, où photographie et spectacle vivant permettent d’aborder un sujet trop souvent tabou, la faillite et l’échec entrepreneurial.
Chaque année, en France, plus de 50 000 entreprises font faillite. Derrière ce chiffre, se cachent souvent
de graves traumatismes financiers, professionnels et personnels pour les entrepreneurs concernés. Alors que l’on s’attache à mettre en place plus de justice sociale et d’accompagnement des populations en difficultés, ces entrepreneurs en échec disparaissent du paysage économique et social de notre pays. Appelés à créer des emplois, les patrons de PME et PMI sont les grands oubliés de notre système lorsque eux-mêmes sont en souffrance.
Des associations soutiennent ceux qui ne réussissent pas du premier coup alors qu’ils constituent un vivier de dynamisme économique, de création d’emplois et de valeur. Tel est le cas de l’association A.P.R.E.S, dont Crowe France est, depuis deux ans, le premier partenaire. Ses missions : l’étude de la santé des dirigeants, le conseil pour éviter la faillite, la prévention du suicide lors des procédures collectives, le soutien pour se reconstruire personnellement, l’aide pour retrouver un statut, un emploi, l’accompagnement pour la recréation, pour le rebond.
Elle est animée par Jean Lecourieux Bory et Toni Rostini, ses fondateurs. Entrepreneurs, ils ont traversé des moments difficiles avec leur entreprise. Devenus artistes, ils ont choisi d’aborder les sujets les plus sérieux avec le sourire et l’humour à travers la photographie et le théâtre. Chaque étape du Tour de France est organisée autour d’une exposition des photographies, d’un spectacle, d’un colloque avec les représentants des associations et le soutien des cabinets du réseau Crowe France.
Une initiative que Crowe France soutient car elle correspond aux valeurs de sa marque et de ses hommes, et permet de fédérer collaborateurs et clients autour d’un évènement unique en son genre. Bordeaux, Lyon et Nantes ont accueillis cette opération en 2018 et plusieurs dates à Marseille, Lille, Paris et Dijon sont déjà prévues !
Plus d’informations sur www.tdfrebond.fr
Crowe France a rédigé un guide gratuit des procédures amiables et collectives, disponible sur son site internet.
William Nahum
a lancé en 1999 le Centre d’Information sur la Prévention des difficultés des entreprises (CIP), une plate-forme d’accueil et d’écoute des chefs d’entreprise.
Expert-comptable et commissaire aux comptes, expert près les tribunaux, médiateur national du crédit délégué, fondateur du 1er CIP et président du CIP National.
Quelles sont les prémices des difficultés ? A quels signes faut-il être vigilent ?
Les prémices sont de plusieurs types. Cela peut être des difficultés de trésorerie avec leur corolaire, la difficulté à faire face à des échéances telles que la TVA, l’Urssaf ou les salaires. Cela peut être un fléchissement d’activité, la défaillance d’un client important, un crédit fournisseur qui se dégrade ou le retrait d’un concours bancaire. Citons encore des coûts d’exploitation qui se détériorent, un tournant stratégique mal pris, une situation prospective qui paraît difficile, un bilan qui se dégrade. Ces indices doivent alerter le dirigeant mais aussi son expert-comptable.
Comment évaluer la gravité de la situation ?
Ces prémices sont des indications qui ne conduisent pas toutes à une situation dramatique mais qui appellent toutes une réaction. Le dirigeant doit se demander comment va évoluer la situation dans les 3 ou 6 mois suivants. De même, son expert-comptable, qui a détecté ces signes, peut l’appeler et lui proposer un rendez-vous pour évaluer la situation et identifier les solutions à mettre en place.
Quelles solutions peut-on déployer rapidement ?
Il faut commencer par établir une prévision de trésorerie, simuler les 3, 6, 12 prochains mois à partir des espérances de chiffre d’affaires et des charges, ce qui suppose d’avoir fait un business plan. Cette base permet d’anticiper les difficultés. Par exemple, va t-il manquer de l’argent pour faire la paie ?
A partir de là, il faut passer les solutions en revue : l’entreprise a t’elle des économies ? A t’elle accès à de la love monnaie ? Qu’en est-il des délais fournisseurs ? Des délais de paiement des clients ? N’est-elle pas trop sur stockée ?
Faut-il ralentir les achats et liquider les stocks existants ? Recourir à la sous traitance plutôt qu’à des salariés ? Etc. Ce travail peut être fait avec son expert-comptable et les spécialistes du CIP. De ce dialogue peuvent déjà émerger une première série de solutions. Le dirigeant peut également se faire accompagner par ses conseils en vue de négocier ses échéances avec la banque ou avec les chefs de services fiscaux et recourir à la médiation du crédit. Plus on rencontre les créanciers en anticipant le problème, plus on a de chance de trouver un accord.
Quand le dirigeant peut-il se tourner vers le CIP et pour quel type d’accompagnement ?
A tous moments. Dès qu’il a un problème. Il peut utiliser notre outil d’autodiagnostic, qui lui permet d’estimer le degré de difficultés que rencontre son entreprise et trouver l’orientation adaptée. Il peut bénéficier d’un rendez-vous avec nos experts, un expert-comptable ou un commissaire aux comptes, un avocat et un ancien juge du tribunal de commerce, qui l’écoutent, l’informent et l’orientent vers les dispositifs d’aide adaptés. C’est un rendez-vous confidentiel, anonyme et gratuit.
Quels conseils donnez-vous à dirigeant dont l’entreprise rencontre des difficultés ?
Ne pas rester seul et ne pas attendre que la situation devienne irréversible. Il existe beaucoup de structures bénévoles* pour l’aider. Il faut éviter le déni et bouger !
*Voir les associations partenaires du CIP : cip-national.fr/cip-national/membres-2/#2
Mandat adhoc ou conciliation ?
Les atouts des procédures préventives.
Les entreprises qui connaissent des difficultés, sans être en état de cessation des paiements, peuvent recourir à des procédures de règlement amiable de leurs difficultés, dont le taux de réussite avoisine les 70 %.
Jean-François Vanneste - Associé Crowe Cogefis
Le mandat adhoc ou la conciliation permettent au dirigeant de négocier ses dettes, de manière totalement confidentielle et amiable, sous l’égide d’un mandat expert judiciaire indépendant spécialisé dans le redressement d’entreprises. Ce dernier est désigné par le Président du tribunal de commerce, à la demande du dirigeant qui reste à la tête de son entreprise. Pendant la durée de la procédure, il est assisté d’un mandataire adhoc ou d’un conciliateur, qui, après avoir analysé la situation, s’engage dans des négociations avec les principaux créanciers. Ces deux procédures poursuivent le même objectif : éviter l’ouverture d’une procédure collective, destructrice de valeur et d’emplois et permettre à l’entreprise de repartir avec une situation assainie. Pour le mandat ad hoc, la mission du mandataire est de trois moi, renouvelable plusieurs fois. Elle s’achève par la signature d’accords contractuels négociés avec les créanciers. Conciliation, risque élevé de cessation des paiements, la mission du conciliateur est 4 mois renouvelable 1 mois. Elle s’achève par l’homologation d’un protocole d’accord par le Président du Tribunal de Commerce.
Quel est le rôle de l’expert-comptable dans ces procédures ?
Il s’organise en trois phases clefs :
- poser le diagnostic, c’est-à-dire détecter les difficultés, analyser leurs causes, expliquer au dirigeant clairement la situation et les solutions envisageables…
- prendre contact avec un administrateur judiciaire, recueillir ses préconisations, organiser une rencontre avec le dirigeant pour répondre à ses questions, préparer le dossier de demande de désignation d’un mandataire ad hoc ou d’un conciliateur qui sera soumis au tribunal de commerce.
- à l’issue de l’audience et de la désignation du mandataire judiciaire, l’expert-comptable accompagnera son client pour l’établissement des documents économiques et financiers réclamés dans le cadre de la procédure : situations intermédiaires, états prévisionnels (exploitation, trésorerie) etc et sera présent aux réunions organisées par le mandataire désigné avec les créanciers.
Chef d’entreprise, expert-comptable et expert judiciaire, une collaboration réussie.
Un groupe de concessions automobiles qui connaissait d’importantes tensions financières a fait appel à un mandataire ad hoc désigné par le tribunal de commerce. Les réunions furent nombreuses avec les représentants des différentes banques partenaires. A chaque réunion, j’étais convié pour présenter les situations comptables, les états prévisionnels, les ratios et la détermination du fonds de roulement normatif, les autres informations financières nécessaires à la compréhension du dossier et répondre aux questions des participants. Le mandat s’est achevé par la signature des accords de rééchelonnement des dettes à moyen et à long terme et l’engagement du constructeur dans son soutien au groupe. Ce dernier, grâce à la procédure mise en oeuvre dans le cadre d’une crise ponctuelle, s’est redressé. Il est aujourd’hui en croissance et, fort de 300 salariés et d’un chiffre affaires consolidé de 70 M€, affiche d’excellents résultats.
La sauvegarde accélérée.
Une procédure de sauvegarde accélérée permet à une entreprise en conciliation d’élaborer en moins de 3 mois un projet de plan devant assurer sa pérennité.
Jean-Claude Capuono - Associé Crowe Ficorec
Quelles sont les entreprises concernées ?
Cette procédure concerne les entreprises engagées dans une procédure de conciliation, dont le nombre de salariés est supérieur à 20 à la date d’ouverture de la procédure, ou le chiffre d’affaires supérieur à 3 M€ HT ou le total du bilan supérieur à 1,5 M€ à la date de clôture du dernier exercice comptable. Elle concerne aussi celles qui établissent des comptes consolidés. L’entreprise peut être en cessation des paiements depuis moins de 45 jours à la date d’ouverture de la procédure.
Quel est l’intérêt de cette procédure ?
Sa vitesse. Elle permet de sortir en moins de trois mois d’une procédure préventive, là où une procédure traditionnelle peut durer jusqu’à une année, sans que l’on en sache l’issue. Cela limite les risques de perte de chiffre d’affaires, potentiellement associés aux autres procédures. La sauvegarde accélérée est par exemple bien adaptée aux entreprises dont la pérennité est liée à des marchés publics, car elle limite dans le temps la période d’interdiction de réponse aux appels d’offres, ou aux entreprises qui ont peu de créanciers, même si le montant des créances est important. Nous avons récemment sauvé une entreprise qui ne pouvait rembourser de grosses dettes bancaires à échéances courtes. Elle avait une bonne capacité d’autofinancement mais avait trop investi. Nous avons pu obtenir un ré-étalement de sa dette grâce à une bonne préparation du dossier et une équipe habituée aux procédures accélérées.
Comment cela fonctionne ?
Le représentant légal de l’entreprise demande l’ouverture de cette procédure auprès du tribunal de commerce (activité commerciale ou artisanale) ou du tribunal de grande instance (autres activités) qui statue après lecture du rapport du conciliateur sur les perspectives d’adoption d’un projet de plan par les créanciers. A partir de là, nous avons trois mois pour finaliser un projet de plan de continuation et le faire approuver par les créanciers puis par le tribunal. Pour que le plan soit accepté, il faut que l’accord obtienne la majorité des 2/3 du montant des créances. A l’issue de cette période, le tribunal met fin à la procédure et l’entreprise reprend une activité normale.
Quelles sont les clés pour réussir une sauvegarde accélérée ?
Pour que tout se déroule vite, il faut que tout soit bien anticipé. Ceci implique d’être hyper à jour de sa comptabilité et hyper accompagné. Le chef d’entreprise doit s’entourer de professionnels habitués à travailler rapidement : administrateur judiciaire, expert-comptable, avocat etc. Une comptabilité à jour permet de connaître la situation exacte de l’entreprise à l’ouverture de la procédure, notamment le passif réel, d’engager sans délai la négociation avec les créanciers, de produire rapidement des budgets prévisionnels, de faire des points réguliers avec l’administrateur et le tribunal, de finaliser l’élaboration du plan. Il faut être capable suivre l’évolution des dettes et du chiffre d’affaires et de produire des situations à la semaine ou au mois, d’établir des attestations etc.
Enfin, le projet de plan doit avoir été suffisamment préparé en amont dans le cadre de la conciliation (mesures de redressement envisagées, perspectives d’emploi, plan d’affaires, modalités d’apurement du passif, éventuelle modification du capital et si besoin, reconstitution des capitaux propres).
Sécuriser les actifs les plus précieux : la solution de la fiducie-sureté.
Une procédure de sauvegarde accélérée permet à une entreprise en conciliation d’élaborer en moins de 3 mois un projet de plan devant assurer sa pérennité.
David Kharoubi - Senior Manager - Crowe HAF - Audit et Conseil
Qu’est-ce qu’une fiducie ?
Sur le modèle des trusts anglo-saxons, la fiducie a été instaurée en France en février 2007. Elle connaît un véritable essor. La fiducie prend la forme d’un contrat par lequel un constituant transfère des biens, des droits ou des sûretés, présents ou futurs, lui appartenant, à un fiduciaire qui agit dans un but déterminé au profit du ou des bénéficiaires. L’accord entre ces parties constitue la pierre angulaire de la fiducie. La fiducie est régie par le règlement de l’Autorité des Normes Comptables ANC 2014-03 et doit tenir une comptabilité autonome puisqu’il s’agit d’un patrimoine d’affectation, distinct du patrimoine propre du fiduciaire.
Son utilité, ses avantages et inconvénients
La fiducie-sûreté vise à la garantie de créances via une fiducie-sûreté. Elle permet d’accéder à de nouveaux financements, auprès de banques ou de fonds d’investissement, à valoriser les actifs de la société (titres, créances, biens, brevets, stocks…) sans être contraints à les céder. Elle permet de rendre privilégiés, sur les actifs mis en fiducie, des investisseurs en argent frais lors de phases critiques de la société, assurant ainsi une garantie de remboursement en cas de défaut, par la récupération ou cession des actifs. Le cas typique d’emploi d’une fiducie sûreté peut être le renflouement d’un groupe en difficulté, qui veut garder son unité tout en donnant des garanties étendues sur les actifs les plus précieux. On parle désormais d’ingénierie fiduciaire par laquelle les fiduciaires de la place structurent les contrats de fiducie dans le cadre de restructurations de dettes, d’opérations immobilières, de monétisation d’actifs…
Quel régime fiscal ?
La fiducie est transparente fiscalement, son régime est proche de celui des sociétés de personnes. En cours de vie, les résultats de la fiducie sont donc imposés en transparence entre les mains du constituant, comme si le placement en fiducie n’existait pas. Par ailleurs, le régime des sociétés mères et le régime de l’intégration fiscale sont applicables au constituant d’une fiducie lorsque ce dernier transfère des titres de ses filiales dans un patrimoine fiduciaire. Sous condition que le constituant soit lui-même l’un des bénéficiaires, les plus ou moinsvalues de transfert bénéficient d’un report d’imposition, sous certaines conditions au moment du transfert. Les plus-values générées par la cession des actifs en fiducie en cas de défaillance et la cession par le constituant des droits qu’il détient dans le patrimoine fiduciaire sont taxées automatiquement chez le constituant. A la fin de la fiducie, le principe de neutralité fiscale s’applique consistant, sous conditions, à ne pas imposer les profits ou les pertes ainsi que les plus ou moins-values résultant du retour des biens ou droits du patrimoine fiduciaire au constituant. Ces plusvalues bénéficient d’un report d’imposition en contrepartie de certains engagements du constituant.
Et le commissaire aux comptes dans tout ça ?
Le législateur a souhaité sécuriser cette structuration en mettant en place un contrôle obligatoire de la fiducie par un commissaire aux comptes. Il est donc un tiers de confiance incontournable dans cette nature de montage. Il s’assure de la valeur des actifs mis en fiducie servant de garantie au(x) bénéficiaire(s), à la date du transfert mais également à chaque arrêté comptable.
Gérard Maury,
Président du Tribunal de
Commerce de Pontoise
La mauvaise santé financière d’une entreprise atteint souvent la santé psychologique de son dirigeant, qui a investi non seulement des capitaux mais aussi sa vie dans son entreprise. Accompagner la structure ne suffit pas toujours. Le dirigeant peut avoir besoin d’être soutenu pour ne pas flancher.
Comment détecte t-on les difficultés personnelles des dirigeants ?
La détresse psychologique grave qui parfois résulte des échecs s’exprime à l’occasion des audiences, lors des rencontres avec les praticiens des procédures collectives ou avec les conseils. Lors des audiences d’ouverture de procédure collective que je préside les lundi après-midi, je rencontre des dirigeants pour qui tout s’écroule. Leur entreprise va mal, leur situation financière se dégrade ainsi que leur vie familiale et sociale. Certains n’ont pas conscience que leur entreprise est déjà morte. Ils sont dans le déni, pensent que leurs difficultés sont passagères, qu’un gros contrat va arriver. Puis ils prennent brutalement conscience de la réalité.
Qu’est qui vous a sensibilisé à l’importance d’accompagner les dirigeants sur un plan personnel ?
Ma première prise de conscience remonte au jour où un homme a fondu en larmes en expliquant pourquoi son entreprise était en liquidation. Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose. Or que peut faire un magistrat face à cette détresse ? Il doit rester dans le cadre de sa mission et la bienveillance ne suffit pas. C’est la lecture d’un journal, dans lequel le suicide d’un salarié faisait la une et celle d’un chef d’entreprise un entrefilet, qui m’a poussé à agir. J’ai cherché comment comment tendre la main, de manière humaine mais professionnelle, à des dirigeants qui perdent l’estime d’eux-mêmes et envisagent le pire. J’ai d’abord pris contact avec les institutions publiques. Le Préfet du Val d’Oise a toujours été totalement à mon écoute, mais la solution ne pouvait pas passer par la DIRECCTE. Puis j’ai rencontré Marc Binnié, greffier au tribunal de commerce de Saintes (Charente-Maritime).
APESA combine la pérennité d’une plateforme nationale et la proximité d’un réseau local pour venir en aide aux entrepreneurs, afin que l’échec ne soit que la première étape d’un rebond personnel ou professionnel.
En savoir + : apesa-france.com
Il a cofondé, avec le psychologue clinicien Jean-Luc Douillard, l’association APESA, qui vient en aide aux dirigeants en détresse morale.
Qu’apporte APESA ?
Un entrepreneur rencontre de nombreuses personnes au fil de la procédure. Ces dernières peuvent percevoir sa détresse et alerter. APESA forme des "sentinelles", des femmes et des hommes capables de reconnaître les symptômes d’une souffrance morale aiguë, d’oser aborder ce sujet avec l’entrepreneur et, avec son accord, de passer le relais à des psychologues mobilisés pour intervenir en urgence. Depuis sa création en 2013, APESA a pris en charge 1165 personnes, formé 1137 sentinelles et 660 psychologues et fédéré 43 tribunaux de commerce.
Vous avez vous-même créé APESA Val d’OISE cette année…
Depuis mars 2018, l’Association est opérationnelle dans le Val-d’Oise. Cela a été possible grâce à la générosité de ses membres fondateurs Val d’Oisien qui ont apporté les financements nécessaires. Nous avons formé 49 sentinelles : des juge des procédures collectives, des greffiers, des administrateurs et mandataires judiciaires, des avocats… Nous avons aidé 15 entrepreneurs. Cela s’est traduit par la rédaction de fiches alertes qui ont généré 13 consultations avec des psychologues.
Concrètement, comment orientez-vous les dirigeants vers APESA ?
En chambre du conseil, nous recevons le dirigeant à huis clos. S’il montre des signes extérieurs de souffrance, je lui demande s’il peut parler à quelqu’un. A défaut, je propose de le mettre en contact avec un psychologue d’APESA qui va l’aider. En général, les entrepreneurs disent oui. Ils pensent que le tribunal n’est là que pour les sanctionner. Ils sont surpris, intéressés, reconnaissants. J’ai reçu deux coups de fils de dirigeants qui m’ont remercié après m’avoir avoué qu’ils étaient au bord du suicide. En huit années de présidence du tribunal, la création d’APESA est ce dont je suis le plus fier.